Les rectifications de l’orthographe

Les rectifications de l’orthographe : principes et règles
 
Présentation  
Un ensemble de rectifications orthographiques proposées par le Conseil supérieur de la langue française ont été approuvées par l’Académie française et publiées en décembre 1990 dans les « Documents administratifs » du Journal officiel. Ces rectifications ont pour but de résoudre les problèmes graphiques importants, d’éliminer les incertitudes ou les incohérences et de permettre la formation correcte des mots nouveaux qu’appelle le développement des sciences et des techniques. Elles rendront de surcroît l’apprentissage du français plus aisé et plus sûr.
L’Académie n’a pas souhaité donner un caractère impératif à ces rectifications ni se limiter à une simple tolérance orthographique : elle a choisi la voie prudente de la recommandation. Ainsi, elle a décidé de soumettre à l’épreuve du temps ces simplifications et ces ajustements — qui ne concerneront pas plus de trois mille mots sur les cinquante cinq mille que comportera la neuvième édition de son dictionnaire — et se propose de juger, après une période d’observation, des graphies et emplois que l’usage aura retenus : c’est la règle qu’elle a toujours suivie, même lorsque, au cours des xviiie et xixe siècles, elle a changé à deux reprises l’orthographe de plusieurs milliers de mots.
Dans la neuvième édition du Dictionnaire de l’Académie française, ne sont inscrites à titre définitif que les modifications qui visent principalement à harmoniser l’accentuation de certains mots, tel allègement ou allègrement, avec leur prononciation habituelle. Chaque fois que l’usage paraissait hésitant, a été indiquée l’existence ou la possibilité de deux graphies (évènement ou événement).
L’Académie signale par un losange (◇) et répertorie, dans les volumes publiés de son Dictionnaire ainsi que dans les fascicules des « Documents administratifs » du Journal officiel, les orthographes modifiées qu’elle n’introduit pas en entrée. On retrouvera ici la liste complète de ces orthographes modifiées.
Dans la version numérique, les mots concernés sont en outre accompagnés de rubriques placées en fin d’article indiquant directement les graphies modifiées ainsi que la ou les règles les expliquant. Ainsi, à l’article abîmer, on peut lire :
Exemple de rubrique sur les rectifications de l'orthographe
Pour connaître en détail toutes les rectifications proposées, vous pouvez consulter le rapport détaillé du Journal officiel de 1990 en version pdf. Nous en proposons une synthèse ci-dessous, avec les numéros de règles (§1, §2…) utilisés.
L’usage ne tranche que peu à peu entre les deux orthographes. La lecture de la presse montre une fréquence variable selon les titres, mais élevée, de formes comme évènement, cèdera ou révolver. D’autres modifications apparaissent çà et là, mais moins systématiquement. L’Académie observe l’évolution de l’usage et se réserve de confirmer ou d’infirmer les recommandations proposées.
Les rectifications de l’orthographe ne concernent que les noms communs.
Elles portent sur les points précis suivants (les encadrés reprennent le texte original du Journal officiel de 1990 (noté [JO]) et la pagination est celle du document pdf) :
 
§1. Le trait d’union et la soudure des mots composés  
• dans les mots composés, on privilégie désormais la soudure au lieu du trait d’union chaque fois que cela n’entraîne pas de difficultés de lecture. Par exemple, on écrira néoclassicisme en un seul mot, mais néo-impressionnisme en deux mots, car la réunion de o et de i crée le groupe vocalique « oi ». Les mots composés ainsi soudés suivent les règles normales de l’accord en genre et en nombre : un millefeuille, des millefeuilles ; une diffusion multicanale, des diffusions multicanales ;
[JO] On remarque de très nombreuses hésitations dans l’usage du trait d’union et des divergences entre les dictionnaires, ce qui justifie qu’on s’applique à clarifier la question, ce mode de construction étant très productif. On améliorera donc l’usage du trait d’union en appliquant plus systématiquement les principes que l’on vient de dégager [voir I. 1] soit à l’utilisation de ce signe, soit à sa suppression par agglutination ou soudure des mots composés. (p. 10)
• tous les numéraux formant un nombre complexe sont reliés par des traits d’union, y compris ceux qui sont supérieurs à cent. On écrira donc : vingt-et-un ; mille-six-cent-trente-cinq. Milliard, million et millier, étant des noms, ne sont pas concernés par cette rectification.
[JO] On lie par des traits d’union les numéraux formant un nombre complexe, inférieur ou supérieur à cent. (p. 12)
 
§2. Le pluriel des mots composés  
Le singulier et le pluriel des noms composés comportant un trait d’union s’écrivent comme suit :
• les deux éléments des noms composés d’un verbe et d’un nom ou d’une préposition et d’un nom restent au singulier quand le nom composé est au singulier.
• au pluriel, seul le second élément prend la marque du pluriel : un pèse-lettre, des pèse-lettres ; un abat-jour, des abat-jours. Cependant, quand l’élément nominal comporte une majuscule ou quand il est précédé d’un article singulier, il ne prend pas de marque de pluriel : des prie-Dieu, des trompe-l’œil, des trompe-la-mort.
[JO] Les noms composés d’un verbe et d’un nom suivent la règle des mots simples, et prennent la marque du pluriel seulement quand ils sont au pluriel, cette marque est portée sur le second élément. […] Il en va de même des noms composés d’une préposition et d’un nom. (p. 12)
 
§3. Les accents et le tréma  
• on accentue sur le modèle de semer les futurs et les conditionnels des verbes du type céder.
[JO] On accentue sur le modèle de semer les futurs et conditionnels des verbes du type céder : je cèderai, je cèderais, j’allègerai, j’altèrerai, je considèrerai, etc. (p. 12)
• dans les inversions interrogatives, la première personne du singulier en e suivie du pronom sujet je porte un accent grave.
[JO] Dans les inversions interrogatives, la première personne du singulier en e suivie du pronom sujet je porte un accent grave : aimè-je, puissè-je, etc. (p. 12)
• de même, dans un certain nombre de mots dans lesquels é se prononce è, on adopte une graphie conforme à la prononciation en usage : empiètement ; crèmerie.
• les emprunts (au latin ou à d’autres langues) sont accentués, conformément à leur prononciation (voir ci-après §6 et §8).
• placés sur les i et les u, les accents circonflexes deviennent facultatifs, à moins qu’ils ne soient la marque d’une conjugaison ou apportent une distinction de sens utile, comme dans mur (nom) et mûr (adjectif) ; du (déterminant) et (participe passé) ;
[JO] On conserve l’accent circonflexe sur a, e, et o, mais sur i et sur u il n’est plus obligatoire, excepté dans les cas suivants :
a. Dans la conjugaison, où il marque une terminaison :
  • Au passé simple (première et deuxième personnes du pluriel) ;
  • À l’imparfait du subjonctif (troisième personne du singulier) ;
  • Au plus-que-parfait du subjonctif, aussi nommé parfois improprement conditionnel passé deuxième forme (troisième personne du singulier).
b. Dans les mots où il apporte une distinction de sens utile : dû, jeûne, les adjectifs mûr et sûr, et le verbe croître (étant donné que sa conjugaison est en partie homographe de celle du verbe croire). L’exception ne concerne pas les dérivés et les composés de ces mots (exemple : sûr, mais sureté ; croître, mais accroitre). Comme c’était déjà le cas pour dû, les adjectifs mûr et sûr ne prennent un accent circonflexe qu’au masculin singulier. (p. 12)
• le tréma est placé sur les voyelles qui ont besoin d’être prononcées, et uniquement celles-ci. On écrira ainsi : gageüre, argüer, ambigüe.
[JO] Le tréma interdit qu’on prononce deux lettres en un seul son (exemple : lait mais naïf). Il ne pose pas de problème quand il surmonte une voyelle prononcée (exemple : maïs), mais déroute dans les cas où il surmonte une voyelle muette (exemple : aiguë) : il est souhaitable que ces anomalies soient supprimées. De même l’emploi de ce signe doit être étendu aux cas où il permettra d’éviter des prononciations fautives (exemples : gageure, arguer). (p. 10)
 
§4. Les verbes en -eler/-eter (et leurs dérivés)  
Dans les verbes en -eler ou -eter, on emploie l’accent grave au lieu du doublement de la consonne pour noter le son e ouvert, sur les modèles de celer et d’acheter : j’amoncèle, j’amoncèlerai ; j’étiquète, j’étiquèterai.
Font exception les verbes appeler et jeter, ainsi que leurs dérivés, dont les formes sont les mieux stabilisées dans l’usage.
[JO] L’emploi du e accent grave pour noter le son « e ouvert » dans les verbes en -eler et en -eter est étendu à tous les verbes de ce type.
On conjugue donc, sur le modèle de peler et d’acheter : elle ruissèle, elle ruissèlera, j’époussète, j’étiquète, il époussètera, il étiquètera.
On ne fait exception que pour appeler (et rappeler) et jeter (et les verbes de sa famille), dont les formes sont les mieux stabilisées dans l’usage.
Les noms en -ement dérivés de ces verbes suivront la même orthographe : amoncèlement, bossèlement, chancèlement, cisèlement, cliquètement, craquèlement, craquètement, cuvèlement, dénivèlement, ensorcèlement, étincèlement, grommèlement, martèlement, morcèlement, musèlement, nivèlement, ruissèlement, volètement. (p. 13)
 
§5. Le participe passé de laisser suivi d’un infinitif  
• Le participe passé du verbe laisser suivi d’un infinitif est rendu invariable, sur le modèle de celui de faire : Elle s’est laissé mourir ; Elle s’est laissé séduire ; Je les ai laissé partir.
[JO] Le participe passé de laisser suivi d’un infinitif est rendu invariable : il joue en effet devant l’infinitif un rôle d’auxiliaire analogue à celui de faire, qui est toujours invariable dans ce cas (avec l’auxiliaire avoir comme en emploi pronominal).
Le participe passé de laisser suivi d’un infinitif est donc invariable dans tous les cas, même quand il est employé avec l’auxiliaire avoir et même quand l’objet est placé avant le verbe. (p. 13)
 
§6. Les mots empruntés à d’autres langues  
• les noms ou adjectifs empruntés à une langue étrangère ont un singulier et un pluriel réguliers. On choisit comme forme du singulier la forme la plus fréquente, même s’il s’agit d’un pluriel dans la langue d’origine : un ravioli, des raviolis ; un scénario, des scénarios.
• l’accentuation, d’autre part, est rendue conforme aux règles des mots français : un imprésario ; un révolver ; un artéfact.
[JO]
• Le processus d’intégration des mots empruntés conduit à la régularisation de leur graphie, conformément aux règles générales du français. Cela implique qu’ils perdent certains signes distinctifs « exotiques », et qu’ils entrent dans les régularités de la graphie française. On tiendra compte cependant du fait que certaines graphies étrangères, anglaises en particulier, sont devenues familières à la majorité des utilisateurs du français. (p. 11-12)
• Singulier et pluriel des mots empruntés : les noms ou adjectifs d’origine étrangère ont un singulier et un pluriel réguliers : un zakouski, des zakouskis ; un ravioli, des raviolis ; un graffiti, des graffitis ; un lazzi, des lazzis ; un confetti, des confettis ; un scénario, des scénarios ; un jazzman, des jazzmans, etc. On choisit comme forme du singulier la forme la plus fréquente, même s’il s’agit d’un pluriel dans l’autre langue.
Ces mots forment régulièrement leur pluriel avec un s non prononcé (exemples : des matchs, des lands, des lieds, des solos, des apparatchiks). Il en est de même pour les noms d’origine latine (exemples : des maximums, des médias). Cette proposition ne s’applique pas aux mots ayant conservé valeur de citation (exemple : des mea culpa).
Cependant, comme il est normal en français, les mots terminés par s, x et z restent invariables (exemples : un boss, des boss ; un kibboutz, des kibboutz ; un box, des box).
Remarque : le pluriel de mots composés étrangers se trouve simplifié par la soudure (exemples : des covergirls, des bluejeans, des ossobucos, des weekends, des hotdogs). (p. 13)
 
§7. Cas particuliers et anomalies  
Sous cette rubrique, sont classés tous les cas plus limités qui répondent à une volonté d’harmoniser des usages similaires, de supprimer les anomalies en uniformisant des séries désaccordées ou des dérivations incohérentes.
[JO] Les anomalies sont des graphies non conformes aux règles générales de l’écriture du français (comme ign dans oignon) ou à la cohérence d’une série précise (p. 12).
• On écrit en -iller les noms suivants anciennement en -illier, où le i qui suit la consonne ne s’entend pas (comme poulailler, volailler) : joailler, marguiller, ouillère, quincailler, serpillère. (p. 15)
• On écrit avec un seul l (comme bestiole, camisole, profiterole, etc.) les noms suivants : barcarole, corole, fumerole, girole, grole, guibole, mariole, et les mots moins fréquents : bouterole, lignerole, muserole, rousserole, tavaïole, trole. Cette terminaison se trouve ainsi régularisée, à l’exception de folle, molle, de colle et de ses composés. (p. 15)
• Le e muet n’est pas suivi d’une consonne double dans les mots suivants, qui rentrent ainsi dans les alternances régulières (exemples : lunette, lunetier , comme noisette, noisetier ; prunelle, prunelier comme chamelle, chamelier, etc.) : interpeler (au lieu de interpeller) ; dentelière (au lieu de dentellière) ; lunetier (au lieu de lunettier) ; prunelier (au lieu de prunellier). (p. 16)
• On mettra fin aux hésitations concernant la terminaison -otter ou -oter, en écrivant en -otter les verbes formés sur une base en -otte (comme botter sur botte) et en -oter les verbes formés sur une base en -ot (comme garroter sur garrot, greloter sur grelot) ou ceux qui comportent le suffixe verbal -oter (exemples : baisoter, frisoter, cachoter, dansoter, mangeoter, comme clignoter, crachoter, toussoter, etc.). Dans les cas où l’hésitation est possible, on ne modifiera pas la graphie (exemples : calotter sur calotte ou sur calot, flotter sur flotte ou sur flot, etc.), mais, en cas de diversité dans l’usage, on fixera la graphie sous la forme -oter. (p. 18)
 
§8. Recommandations aux lexicographes et créateurs de néologismes  
La graphie des mots empruntés, ainsi que des néologismes formés en français, sera autant que possible adaptée à l’alphabet et à la graphie du français. On écrira ainsi canyon, globe-trotteur, paélia, angstroem, etc. Voir aussi ci-dessus le paragraphe §3 concernant l’accentuation pour les emprunts.
[JO]
Emprunts : on francisera dans toute la mesure du possible les mots empruntés en les adaptant à l’alphabet et à la graphie du français. Cela conduit à éviter les signes étrangers (diacritiques ou non) n’appartenant pas à notre alphabet (par exemple, å), qui subsisteront dans les noms propres seulement.
D’autre part, des combinaisons inutiles en français seront supprimées : volapük deviendra volapuk, muesli deviendra musli (déjà usité), nirvâna s’écrira nirvana, le ö pourra, selon la prononciation en français, être remplacé par o (maelström deviendra maelstrom, déjà usité) ou oe (angström deviendra angstroem, déjà usité, röstis deviendra roestis, déjà usité). Bien que les emplois de gl italien et ñ, ll espagnols soient déjà familiers, on acceptera des graphies comme taliatelle (tagliatelle) paélia (paella), lianos (llanos), canyon qui évitent une lecture défectueuse.
Néologie : dans l’écriture de mots nouveaux dérivés de noms en -an, le n simple sera préféré dans tous les cas ; dans l’écriture de mots nouveaux dérivés de noms en -on, le n simple sera préféré avec les terminaisons suffixales commençant par i, o et a. On écrira donc par exemple : -onite, ‑onologie, ‑onaire, ‑onalisme, etc. (p. 18)