Dire, Ne pas dire
Dire, Ne pas dire • Bonheurs et surprises
Fabre et le forgeron
Les langues sont essentiellement affaire d’héritage. Il en va de tous les mots, y compris des noms de famille. L’origine de ces derniers se répartit en quelques grandes catégories. Le nom peut être lié à un repère géographique, précédé ordinairement de du ou de la, ce qui explique la multiplication des Dupont, Dubois, Delahaye, Delaville, Duchemin, Deschamps et autres Desgranges, à la région, au pays d’où est supposé venir tel ou tel, de là les nombreux Lenormand, Lebreton, Langlais, Picard ou Pagnol, abréviation de (L)espagnol. Il peut aussi être lié à une caractéristique physique ou morale : dans ce cas le nom, surtout s’il est monosyllabique, est généralement précédé de l’article défini ; c’est l’origine des Leroux, Lebrun, Legrand, (Le)petit, Clément, Léveillé, Lesage, etc. Mais le plus souvent, on désignait telle ou telle personne par la profession qu’elle exerçait et ce patronyme se transmettait à ses descendants, quand bien même ils n’exerçaient pas le même métier ; cet usage nous renseigne sur les métiers les plus pratiqués au xiie siècle, quand commencent à se fixer les noms de famille. Si Forgeron est très peu répandu, sans être inexistant, c’est parce que ce mot n’apparaît qu’au milieu du xive siècle, alors que des formes d’ancien français de même sens, issues du latin faber sont très nombreuses, parmi lesquelles, Fabre, Favre, Fèvre, Febvre, Faure, Fauré et autres Lefébure. C’est sans doute le métier le plus productif en patronymes dans le monde entier, puisqu’il est aussi à l’origine des Fabri italiens, des Le Goff bretons, des Schmidt allemands, des Smith anglais, des Kowalski polonais, des Haddad arabes et des Herrero espagnols.
D’autre part, dans plusieurs langues sémitiques, en araméen en particulier, forgeron se dit caïn. On lit d’ailleurs dans la Genèse : « De son côté Çilla enfanta Tubal-Caïn : il fut l’ancêtre de tous les forgerons en fer et en cuivre. »
Victor Hugo s’en est souvenu, qui écrit dans La Conscience : « Alors Tubalcaïn, père des forgerons / Construisit une ville énorme et surhumaine. »
Tubal-Caïn est généralement considéré comme formé à l’aide de Tubal, une région riche en minerai, et de caïn, « forgeron ».
On ne s’étonnera pas de cette formidable prolifération. Les arts du feu et du métal ont toujours été très importants pour les hommes. Il n’est pour s’en souvenir que de se rappeler que l’histoire de l’humanité est jalonnée par l’acquisition de la maîtrise de tel ou tel métal, et que les hommes ont fait de grands progrès quand aux différents âges de pierre ont succédé ceux du bronze et du fer.
Forgeron était un métier difficile qui demandait une longue pratique pour être convenablement exercé ; la nécessité de cette longue pratique pour maîtriser cet art était devenue dès l’Antiquité emblématique d’un savoir que l’on n’acquérait qu’au terme de nombreuses années ; les latins en avaient d’ailleurs fait un proverbe, fabricando fit faber, « c’est en forgeant qu’on devient forgeron », que Queneau parodia avec son « c’est en écrivant qu’on devient écriveron ».
Dans toutes les civilisations, les forgerons ont été mis en rapport avec les dieux de l’orage, puisque de leur forge jaillissaient des étincelles semblables aux éclairs, venaient des bruits semblables au tonnerre. Vulcain chez les Romains et Héphaïstos chez les Grecs sont des dieux essentiels. Ce dernier en particulier est souvent présenté comme un magicien et il est aussi celui qui donne naissance à Athéna, en fendant d’un coup de hache la tête de Zeus, grosse de la déesse de l’intelligence.
Cette habileté a vite été transposée dans d’autres domaines. Le forgeron a été présenté comme une incarnation du poète démiurge, par opposition au poète inspiré. C’est ainsi qu’au sujet du troubadour Arnaud Daniel, un troubadour du xiie siècle qu’il tenait en haute estime, Dante a écrit : Fabbro del parlar materno, « forgeron du parler maternel ». Cette image s’est maintenue dans la langue avec des formes comme : forger une expression, forger des mots nouveaux, forger des métaphores.
Pour conclure, si l’on voulait vérifier que la profession de forgeron a été un grand pourvoyeur de patronymes, il ne serait que de prendre un échantillon comme celui des académiciens français. C’est la profession la mieux représentée, puisque dans cette liste on trouve un Favre, un Faure, un Dufaure (le fils du forgeron) et un Le Goffic, tous noms, on l’a vu plus haut, signifiant « forgeron ».
■ Voir dans le dictionnaire : Forgeron
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