Dire, Ne pas dire
Dire, Ne pas dire • Bonheurs et surprises
La lurette et le lustre
Le nom lurette ne se rencontre guère aujourd’hui que dans l’expression belle lurette, qui nous est venue par le nord et l’est de la France où s’entendaient des expressions comme Il y a belle eurette que je ne le vois plus, que l’on a cru écrite belle leurette ou belle lurette. En effet ce nom résulte de l’agglutination de l’article défini élidé l’ et du nom heurette ou hurette, le diminutif d’heure. Dans belle lurette, l’adjectif beau a le sens de « remarquable par la taille, le poids, la quantité ». C’est en ce sens que l’on parle d’un beau lièvre, puisque l’on n’entend pas par là qu’il répond aux canons esthétiques des Léporidés, mais qu’il s’agit d’un animal de bon poids. De même pour ce qui est du mariage, un beau parti n’indique pas que le marié ou la mariée sont des réincarnations d’Apollon ou d’Aphrodite, mais qu’ils sont de ceux, comme le chantait Jacques Brel, « dont on devine que le papa a eu de la chance ». La belle lurette, ne nous fions pas au diminutif, c’est donc de nos jours un laps de temps long et indéterminé. On retrouve d’ailleurs l’adjectif beau avec d’autres termes appartenant au champ lexical de la durée : la locution Il y a beau temps a peu à voir avec le beau temps. Notons au passage que, dans ces expressions, le choix de l’article défini ou indéfini est important, qui permet aussi de distinguer le bel âge, la jeunesse, d’un bel âge qui désigne généralement un âge avancé (il a atteint un bel âge).
Au Moyen Âge, les formes heurete, horette, horeite, hurete ou encore urette ne supposaient pas un temps long : elles étaient couramment employées sans qu’il soit toujours facile de déterminer l’étendue temporelle qu’elles représentaient. Ainsi, dans son Comput (un ouvrage sur le calcul des calendriers), Philippe de Thaon en fait de minuscules laps de temps. Il écrit en effet : De momenz, d’atometes / Que apelum huretes, « De moments, d’atomettes, que nous appelons des heurettes ».
On notera avec intérêt que, deux siècles avant que ne soit attesté le nom atome, on rencontre cette forme atomete, utilisée pour désigner la plus petite division du temps, et présentée comme un synonyme d’heurette.
Un instant très bref, c’est encore le sens que Guyart des Moulins donne à heurette dans la première version française en prose de la Bible, où il écrit : Tant de richeces sont destruictes « en une heurete », pour traduire le latin una hora, un passage que la plupart des traducteurs modernes rendent par « en un moment » (Apocalypse, 18, 17).
Mais il arrive aussi qu’horette corresponde à peu près à notre heure. On lit ainsi dans le Dit du Besant de Dieu, de Guillaume le Clerc de Normandie : E une horette el cham labore (et il travaille une petite heure au champ). C’est ensuite par antiphrase et de manière plaisante que cette « petite heure » va désigner une durée longue et indéterminée.
Le lustre, lui, n’est pas qualifié de « beau » parce que sa durée n’est pas extensible, au moins tant qu’il est au singulier. Ce nom est emprunté du latin lustrum, qui désignait un sacrifice expiatoire accompli tous les cinq ans par les censeurs, à leur sortie de charge, quand ils avaient fini de dresser la liste officielle des citoyens romains. Par métonymie, lustrum désigna ensuite un espace de temps de cinq ans. Notons pour conclure qu’à ce système de décompte du temps, on pourrait ajouter olympiade, intervalle de quatre ans qui sépare la tenue de deux Jeux olympiques, un repère temporel important et la base du calendrier en Grèce ancienne.
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