perdre

4e édition

PERDRE.

v. a. Conjugaison : Je perds, tu perds, il perd ; nous perdons, vous perdez, ils perdent. Je perdois. Je perdis. J’ai perdu. Je perdrai. Perds. Que je perde. Que je perdisse, &c.
■  Être privé de quelque chose qu’on avoit, dont on étoit en possession. Perdre son bien. C’est un homme qui n’a rien à perdre. Ce Prince perdit ses États par la révolte de ses sujets. Il perdit la couronne avec la vie. Lorsque les Chrétiens perdirent Constantinople. Les ennemis perdirent leurs meilleures troupes dans cette bataille. Ce père a perdu depuis peu trois de ses enfans. Perdre sa bourse. Perdre son argent au jeu. Il perd tout ce qu’il joue.
■ Perdre, signifie aussi, Être privé de quelque avantage naturel ou moral. Perdre la vie. Perdre la santé. Perdre ses forces. Perdre la vue. Perdre les yeux à force de lire. Perdre la connoissance. Perdre toute connoissance. Perdre la raison. Perdre l’esprit. Perdre tout-à-fait la mémoire. Perdre la parole. Perdre l’usage de la parole. Perdre la respiration. Perdre le repos. Perdre le sommeil. Perdre l’appétit, &c. Perdre l’usage des sens. Il perdit beaucoup de sang par sa plaie. Perdre la grâce de Dieu. Perdre les bonnes grâces, l’amitié, l’estime, la bienveillance de quelqu’un. Perdre sa réputation, son crédit, son honneur. Perdre son rang.
Lorsqu’un homme s’applique tellement à quelque étude, à quelque ouvrage, à quelque travail, qu’il semble négliger toute autre chose, on dit, qu’Il y est si attaché, qu’il en perd le boire & le manger. Et on dit en style familier d’Un jeune homme extrêmement amoureux, qu’Il est si amoureux qu’il en perd les pieds, pour dire, qu’Il est si occupé de sa passion, qu’il ne songe plus à autre chose.
■ Perdre, signifie aussi, Cesser d’avoir, n’avoir plus. Les arbres ont perdu leurs feuilles. Cette étoffe a perdu son lustre, perdu sa couleur. J’ai perdu l’envie d’aller là. J’en ai perdu l’espérance. Perdre l’usage. Perdre l’habitude. Je ne me souviens plus de cela, j’en ai perdu l’idée. J’ai perdu la bonne opinion que j’avois de lui. Perdre l’estime, l’amitié qu’on avoit pour quelqu’un.
On dit, Perdre une chose de vue, pour dire, Cesser de la voir, ne la voir plus. Ne perdez pas cet enfant de vue. Le vaisseau s’éloigna, & nous le perdîmes de vue en un moment.
On dit de même au figuré, Perdre de vue un dessein, une affaire, pour dire, Cesser de les suivre. Et, Perdre un homme de vue, pour dire, Être long-temps sans en entendre parler.
Il signifie aussi, Faire un mauvais emploi, un emploi inutile de quelque chose, manquer à en profiter. Perdre le temps. Perdre son temps. Perdre sa peine, ses soins, ses pas. Il a perdu sa jeunesse au service d’un tel Prince. Perdre l’occasion. Il m’a fait perdre toute la matinée.
On dit proverbialement, À laver la tête d’un âne, d’un more, on y perd sa lessive ; & cela se dit d’Une personne qui est incapable de discipline & de correction.
On dit aussi proverbialement & figurément, Vous y perdez vos pas, ce sont tous pas perdus, pour dire, Vous ne réussirez pas à ce que vous entreprenez.
On dit, Perdre le chemin, pour dire, Être égaré du chemin, n’être plus dans le chemin qu’on vouloit suivre. On dit aussi à peu près dans le même sens, Perdre la piste. Perdre la trace. Perdre la voie. Les chiens perdirent les voies de la bête.
On dit figurément dans les affaires, Perdre les voies, pour dire, N’être plus dans le train d’une affaire. J’ai perdu les voies de cette affaire-là, j’en ai perdu les traces. On dit aussi dans le même sens, Perdre le train d’une affaire.
On dit en parlant d’Une marche qui se fait avec quelque ordre, Perdre la file, pour dire, Ne se plus trouver dans la file où l’on étoit. Il s’arrêta pendant que toute la compagnie marchoit, & il perdit la file. Cela se dit plus ordinairement d’Une marche de carrosses à la suite l’un de l’autre. Le cocher s’est laissé couper, & a perdu la file.
Lorsqu’un homme qui avoit accoutumé d’avoir un certain rang dans une cérémonie, vient à ne l’avoir plus par sa négligence, on dit, qu’Il a laissé perdre son rang.
On dit encore, Perdre le fil d’un discours, pour dire, Ne pouvoir plus suivre le discours qu’on avoit commencé, ne pouvoir plus se ressouvenir de ce qu’on avoit à dire ; & cela se dit lorsque dans une narration on vient à être interrompu par quelqu’un. Je ne sais plus où j’en étois, vous m’avez fait perdre le fil de mon discours. On le dit aussi en parlant du discours d’un autre. Cet Orateur prononce avec tant de rapidité, que l’on perd souvent le fil de son discours.
On dit, qu’Une rivière perd son nom dans une autre, pour dire, qu’En tombant dans une autre rivière, elle prend le nom de la rivière où elle tombe.
On dit en termes de Marine sur la Méditerranée, Perdre la tramontane, Lorsqu’on ne peut plus voir l’étoile polaire, ou que la tempête agite tellement un vaisseau, qu’on ne peut plus s’aider de la boussole. Et figurément, qu’Un homme a perdu la tramontane, pour dire, qu’Il ne sait plus où il en est.
On dit, Perdre pied, perdre terre, pour dire, Ne trouver plus le fond de l’eau avec les pieds. Il s’emploie aussi au figuré, pour dire, Ne savoir plus où l’on en est.
On dit, Perdre la tête, pour dire, Avoir la tête coupée. Il a été condamné à perdre la tête.
On dit aussi figur. Perdre la tête, perdre tête, pour dire, Devenir fou ; & cela se dit aussi de celui qui ne sait plus où il en est.
■ Perdre, signifie aussi, Être vaincu en quelque chose par une autre, avoir du désavantage contre quelqu’un en quelque chose. Perdre une gageure, un défi. Perdre la partie. Qui quitte la partie, la perd. Perdre une bataille. Perdre la bataille. Il a perdu son procès. Perdre la récréance d’un bénéfice. Vous n’avez pas perdu au change. Il faut savoir perdre pour gagner. Ce Marchand perd sur ses étoffes. J’ai perdu à beau jeu.
On dit proverbialement, Marchand qui perd ne peut rire, pour dire, qu’Il est difficile d’être de belle humeur quand on perd au jeu, ou autrement.
Il signifie aussi Ruiner ; & se dit de tout ce qui peut deshonorer, décréditer & causer du préjudice à la fortune de quelqu’un, à sa réputation, à sa santé, &c. C’est un homme qui vous perdra. Il a perdu tous ceux qui se sont opposés à ses desseins. C’est un homme qui se perd par ses dépenses excessives. C’est le moyen de vous perdre d’honneur & de réputation. Il s’est perdu par sa mauvaise conduite. Vous vous perdrez à mener la vie que vous faites. Vous perdrez votre fortune. Ses ennemis l’ont perdu dans l’esprit du Prince.
On dit proverbialement d’Un homme qui s’expose à faire quelque chose qui peut causer la ruine de sa fortune, qu’Il joue à se perdre. Et on dit De celui qui expose tout d’un coup tout ce qu’il a au hasard de la fortune, qu’Il joue à tout perdre.
Lorsqu’un homme fait tort à sa fortune ou à sa santé, par pure indiscrétion & par pure intempérance, on dit, qu’Il se perd à crédit, à plaisir, de gaieté de cœur.
■ Perdre, signifie aussi, Corrompre les mœurs, débaucher. Il a perdu par ses maximes une infinité de jeunes gens. Elle étoit née sage, mais les mauvaises compagnies l’ont perdue. Vous le perdez par vos flatteries.
Il signifie aussi, Gâter, endommager quelque chose. La nielle a perdu les blés. La rivière s’est débordée, & a perdu toute la campagne.
■ Perdre, est aussi réciproque en plusieurs significations différentes. Ainsi on dit, qu’Un vaisseau s’est perdu sur une côte, qu’il s’est perdu contre un rocher, pour dire, qu’Il a fait naufrage. Ils se sont perdus au-delà de la ligne.
On dit De certaines liqueurs, de certaines essences, que Les esprits s’en perdent en l’air, pour dire, qu’Ils se dissipent, qu’ils s’évaporent. Et on dit, que Des couleurs se perdent l’une dans l’autre, pour dire, qu’Insensiblement elles viennent à être tellement mêlées, qu’on n’en connoît plus la différence.
On dit, Se perdre, pour dire, S’égarer, se fourvoyer, ne retrouver plus son chemin. Nous nous perdîmes dans le bois.
On dit, qu’Une rivière se perd dans les terres en un tel endroit, pour dire, qu’Elle disparoît.
En termes de Billard, Se perdre, signifie, Mettre sa propre bille dans la blouse, ou la faire sauter.
En parlant d’Un chemin qui cesse d’être frayé dans un certain endroit, on dit, qu’Il se perd en cet endroit. Le chemin se perd dans le bois.
En parlant Des choses qui sont au-dessus de la portée de l’esprit humain, comme les mystères de la Religion, certains effets merveilleux de la nature, &c. on dit figurément, que L’esprit s’y perd.
On dit aussi dans le style familier, Je m’y perds, en parlant, soit d’Une chose qui surprend, & dont on ne sauroit pénétrer la cause ; soit d’un fait si diversement raconté, qu’on n’en sauroit démêler la vérité. Imaginez-vous ce qui a pu l’engager à faire telle chose ? pour moi je m’y perds. Ils s’accordent si peu dans leur récit, que je ne sais plus qu’en croire, je m’y perds.
■ Perdu, ue. participe.
On appelle Puits perdu, Un puits dont le fond est de sable, & où les eaux se perdent. Les puisarts sont des espèces de puits perdus.
On dit proverbialement, qu’Un bienfait n’est jamais perdu, pour dire, qu’Une bonne action a sa récompense tôt ou tard, de quelque part que ce soit.
On dit aussi proverbialement De tout ce qui survient d’agréable ou d’utile pour une personne qui ne sait pas, ou qui ne peut pas en profiter, que C’est du bien perdu. Chanter devant des gens qui n’ont point de goût pour la musique, c’est du bien perdu.
On dit, Tirer à coup perdu, à coups perdus, pour dire, Tirer au hasard. Et, Faire des fondations à pierres perdues, pour dire, Jeter des pierres sans ordre dans un endroit déterminé pour servir de fondement. Les fondations de cette digue, de ce mole ont été faites à pierres perdues.
On dit, Se jeter à corps perdu sur quelqu’un, pour dire, Se jeter sur lui avec impétuosité, & sans songer à se ménager.
On dit, Mettre de l’argent à fonds perdus, pour dire, Placer son argent de telle sorte, qu’on se dépouille entièrement du sort principal, & qu’on ne se réserve que le revenu sa vie durant.
On appelle Heures perdues, Les heures du loisir d’un homme qui est ordinairement fort occupé ; mais on ne le dit guère que dans ces manières de parler adverbiales. À vos heures perdues. Dans vos heures perdues, &c. Je vous irai voir à vos heures perdues, à quelqu’une de vos heures perdues.
On appelle en termes de Guerre, Enfans perdus, Ceux que l’on détache pour donner à la tête des troupes. Commander les enfans perdus. Il combattit à la tête des enfans perdus.
On appelle aussi en termes de Guerre, Sentinelle perdue, Une sentinelle postée dans un lieu extrêmement avancé.
On dit, qu’Un homme est perdu d’honneur, de réputation, perdu de débauches, qu’il est perdu de dettes, &c. pour dire, qu’Il a perdu l’honneur, la réputation, qu’il a ruiné sa santé par ses débauches, qu’il est accablé de dettes.
On dit proverbialement Des choses dont on veut faire entendre que la perte est facile à réparer, Pour un perdu, deux recouverts. Et ce n’est que dans ce proverbe qu’on emploie recouverts pour recouvrés.
On dit encore proverbialement, Courir comme un perdu, crier comme un perdu, pour dire, Courir, crier de toute sa force.
On dit d’Un homme sans espoir, sans ressources, que C’est un homme perdu. Et on dit d’Une femme publique & abandonnée, que C’est une femme perdue ; & absolument & substantivement, que C’est une perdue.
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