Dire, Ne pas dire
Dire, Ne pas dire • Bonheurs et surprises
Riche, pauvre
Bien que stricts antonymes, les adjectifs pauvre et riche sont d’origine différente. Pauvre vient du latin tandis que riche vient du germanique. Pauvre est issu du latin pauper, composé à l’aide de paucus, « peu », et parere, « enfanter ». Pauper s’est d’abord appliqué à du bétail ou à des terres qui produisaient peu, ce qui n’est guère étonnant dans un monde où la richesse venait de la culture et de l’élevage, et où le nom qui désigne l’argent, pecunia, à l’origine de nos formes pécule et pécuniaire, est dérivé de pecus, « bétail »
Riche s’est imposé par l’intermédiaire de formes latines tardives richus et ricus, et a supplanté la forme classique dives, que l’on rattachait à divus, « dieu », parce que, selon la formule de Varron : « Le riche, comme un dieu, semble ne manquer de rien. » La racine germanique rik‑, d’où est tiré riche, signifiait avant tout « puissant » (c’est encore ce sens qui est à l’origine du prénom Richard), et ce n’est que peu à peu que l’idée de richesse va s’imposer. En latin médiéval, richi homines ne désigne pas des hommes riches, mais les grands du royaume.
Riche et pauvre se construisent absolument ou à l’aide de diverses prépositions qui permettent d’introduire des nuances. Riche en signifie « qui contient, qui renferme beaucoup de » : Une région riche en forêts, une eau riche en fer. On trouve naturellement la même construction avec pauvre : Une terre pauvre en azote, un plat pauvre en protéines.
Avec la préposition à on indique une direction, un mouvement pour indiquer ce vers quoi tend une fortune ou ce qu’elle a atteint : il est riche à millions. On ne rencontre évidemment pas ce type de construction avec pauvre, mais ces deux adjectifs peuvent être suivis de la préposition à et d’un infinitif : on sera d’un côté pauvre à mourir de faim et de l’autre riche à jeter l’argent par les fenêtres.
Riche de indique la source de la fortune, que celle-ci soit concrète, riche des millions que lui a légués son père, ou abstraite, une vie riche d’expériences. Pauvre de ne se rencontre guère en ce sens. En revanche on retrouve cette construction dans des tournures appositives, comme pauvre de lui. Dans ce cas, pauvre traduit moins le manque que le malheur. Cette tournure ne vient d’ailleurs pas du latin pauper, mais du Me miserum, « infortuné que je suis ». On notera avec amusement que l’équivalent néerlandais de « pauvre de moi », Wacharme, est à l’origine du nom français vacarme. Si l’on trouve sous la plume de Brassens pauvre de moi (qu’il fait rimer avec putain de toi), on trouve, à l’inverse, sous celle de Marcel Aymé, l’exclamation « Salauds de pauvres ! », dans La Traversée de Paris, exclamation dans laquelle pauvre n’est plus un adjectif mais un nom.
En effet, pauvre et riche peuvent aussi être des substantifs. On rencontre souvent cet emploi dans des textes religieux, depuis le « Bienheureux les pauvres en esprit » des Béatitudes au Sermon sur l’éminente dignité des pauvres de Bossuet. On trouve dans les Évangiles (Marc, 10, 25) : « Il est plus facile à un chameau de passer par le chas d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. »
Pauvre s’emploie aussi avec une valeur exclamative, le pauvre ! se rencontre en particulier en Provence et il n’est guère éloigné du « Pauvre Tartuffe » de Molière. On l’utilisait également pour parler d’une personne récemment disparue : Ce pauvre monsieur X vient de nous quitter…
Notons, pour conclure, que, comme de nombreux adjectifs, pauvre prend son sens propre quand il est postposé, et un sens figuré quand il est antéposé. Le poète satirique Linière ne disait-il pas, voyant passer les académiciens Chapelain et Patru : « Voici un pauvre auteur et un auteur pauvre » ?
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