Dire, Ne pas dire
Dire, Ne pas dire • Expressions, Bonheurs et surprises
(13/05/2024)

Veiller au grain

Notre définition
Veiller au grain, prendre à temps les dispositions nécessaires pour éviter un danger.
L’histoire
En terme de marine, le grain désigne une rafale de vent brusque et passagère, généralement accompagnée d’averse et bien souvent de grêle. L’utilisation du mot grain vient peut-être de la grêle (et de ses grêlons en forme de graine) : ce serait une sorte de raccourci métonymique. On trouve en tout cas cette acception de grain dès la Renaissance.
L’expression veiller au grain est sortie du vocabulaire de la navigation pour entrer dans la langue courante et prendre un sens figuré (« surveiller ses intérêts ») dans le courant du xixe siècle.
D’autres expressions
La marine nous a laissé beaucoup d’expressions liées au vent.
Aller contre vents et marées, au sens figuré de « poursuivre obstinément ses projets malgré les difficultés, les obstacles, les résistances » s’emploie depuis le xviie siècle. On notera qu’existait aussi l’expression inversée, aujourd’hui vieillie, Avoir vent et marée pour signifier que les circonstances nous sont favorables, facilitent nos projets.
Être vent debout contre quelque chose, quelqu’un « y être radicalement opposé, lui être contraire » est une expression qui nous vient également de la navigation. Elle a pris ce sens figuré à la fin du xixe siècle. Au sens propre, elle signifiait qu’on naviguait avec le vent venant du bout du bateau donc en face (bout au vent, vent de bout, vent debout) : condition de navigation difficile qui demande à l’équipage de se mobiliser pour résister ; on retrouve cette idée de résistance énergique dans l’expression figurée : quand on est vent debout contre, on met toute son énergie et sa force à s’opposer.
Pour dire l’inverse, c’est-à-dire que le vent est derrière et pousse le bateau, on parle de vent arrière ou de vent en poupe. C’est l’origine d’une deuxième expression très courante et qui a pris un sens figuré dès la fin du Moyen Âge : avoir le vent en poupe, pour parler d’une personne dont les circonstances favorisent le succès.
Pour aller plus loin
Veiller vient du latin vigilare, lui-même dérivé de vigil, « éveillé, vigilant ». On y reconnaît la racine indo-européenne vig, « être vigoureux » : rester éveillé demande une certaine vigueur. Veiller et ses dérivés (réveiller, éveiller, surveiller, etc.) sont des mots populaires : importés par les colons romains, adoptés par le peuple vaincu, ils ont vu leur forme évoluer et s’éloigner progressivement de leurs étymons. Les mots en vig‑ (vigilance, vigueur, vigie, etc.) ont été empruntés à la fin du Moyen Âge : ils n’ont pas subi toutes les transformations phonétiques et c’est pour cette raison qu’ils ressemblent au latin. Il en est de même de végétal et de ses dérivés. Cette racine indo-européenne vig, quand elle est passée par le francique, a pris une forme wak, que l’on retrouve dans l’anglais to wake « se réveiller », to watch, « regarder avec attention, avec vigilance » et dans le français guetter et ses dérivés (guet, aux aguets). À cette liste on peut ajouter échauguette. Ce nom désigne aujourd’hui une guérite construite en surplomb dans les châteaux forts, grâce à laquelle le guet disposait d’une vue étendue sur les environs, mais quand il est apparu dans notre langue, au xie siècle, sous la forme escalgaite, il signifiait « veille, surveillance » Escalgaite est issu de *skarwahta, proprement « guet », (wahta) « fait avec une troupe », (skara). Et c’est de l’anglais to wake que l’on doit les très contemporains woke et wokisme, qui renvoie à une volonté d’éveiller les consciences sur les comportements discriminatoires.
Rappelons pour conclure qu’il existait une autre racine indo-européenne, *bheudh‑ qui traduit à l’origine l’idée d’éveil, d’attention. La signification de cette racine s’est ensuite étendue et a permis de former, dans de nombreuses langues, des mots ayant trait aux notions d’information, d’apprentissage mais aussi d’observation et de surveillance. C’est à cette dernière que nous devons, entre autres les noms bouddha, participe passé du verbe sanscrit bodhati, « être éveillé ; comprendre », et bedeau, issu du latin médiéval, bedellus, un sergent chargé de veiller au maintien de l’ordre.
■ Voir dans le dictionnaire : BedeauBouddhaDeboutÉchauguetteGrain (II)MaréePoupeVeillerVent
Retrouvez l’intégralité des rubriques Dire, Ne pas dire
sur le site de l’Académie française.
Vous pouvez cliquer sur n’importe quel mot pour naviguer dans le dictionnaire.