voir

5e édition

VOIR.

v. a. Conjugaison : Je voi ou je vois, tu vois, il voit ; nous voyons, vous voyez, ils voient. Je voyois ; nous voyions, vous voyiez. Je vis. J’ai vu. Je verrai. Voi, ou vois, voyez. Que je voie ; que vous voyiez. Que je visse. Je verrois. Que j’eusse vu. Voyant, etc.
■  Recevoir les images des objets par l’organe de la vue. Voir un objet. Je vois un homme, je le vois qui vient, qui marche. Cela se voit de loin. Il ne voit pas les objets à deux pas de lui. Voir le jour. Voir la lumière. On voit le jour au travers. Je l’ai vu de mes propres yeux, de mes deux yeux.
Il s’emploie aussi neutralement. Voir clair. Voir trouble. Voir double. Voir confusément. Voir distinctement. Voir de près. Voir de loin. Il ne voit pas à se conduire. Il ne voit goutte. Il n’y voit goutte. Il ne voit pas devant lui. Il n’y voit pas. Les témoins qui ont vu.
On dit figurément, Voir de loin, voir bien loin, voir bien, voir mal, pour, Avoir beaucoup de pénétration, de prévoyance. Et on dit figurément et proverbialement d’Un homme qui a peu de lumières, peu de prévoyance, qu’Il ne voit pas plus loin que son nez, que le bout de son nez.
On dit ordinairement, Qui voit, est vu.
On dit communément, d’Une femme qui aime extrêmement son mari, ou d’une mère qui aime extrêmement son fils, qu’Elle ne le croit pas où elle le voit, qu’elle ne le voit pas où il est.
On dit figurément, Voir quelqu’un de bon œil, de mauvais œil, pour, Avoir à l’égard de quelqu’un des dispositions favorables ou défavorables, être bien aise ou fâché de le voir.
On dit Voir, au sens d’Inspecter avec autorité. Allez voir aux ouvriers. Voyez à ce qui se passera. Voyez à la dépense. Cet homme n’a rien à voir à ma conduite, et je n’ai pas droit de voir à la sienne. Qu’avez-vous à voir dans ma maison ?
Il se dit aussi au sens d’Examiner, de prévoir. Il faut voir à cet inconvénient, à ce commencement de maladie. J’y verrai.
On dit qu’Une maison voit sur un jardin, sur une rue, pour, que De cette maison l’on a des vues sur un jardin, sur une rue.
On dit, qu’Une hauteur voit une Place, voit le rempart d’une Place, pour, que De là on découvre la Place, le rempart de la Place, en sorte qu’on est à portée de la battre avec du canon. On dit aussi dans un sens pareil, que La batterie d’une Place voit à revers, qu’une hauteur voit un tel ouvrage à revers, pour, que De cette hauteur on voit l’ouvrage, et qu’on peut le battre par derrière.
On dit par exagération et pour louer extrêmement quelque chose, que Qui ne l’a pas vu, n’a rien vu.
p. 752On dit d’Une chose extraordinaire, qu’Elle ne s’est jamais vue, qu’elle ne s’étoit point encore vue, pour, qu’Elle n’est jamais arrivée, qu’elle n’avoit jamais été. Et on dit dans le même sens : On n’a jamais vu pareille chose, une chose pareille. On n’a jamais rien vu de pareil. Cela ne s’est jamais vu.
On dit par indignation, par étonnement, par admiration : Vit-on jamais rien d’égal ? Qui vit jamais rien de si extraordinaire ? Voyez quelle insolence ! Voyez l’insolence !
On dit familièrement à un homme qui doute de ce qu’on lui dit, Si vous ne le croyez pas, allez-y voir ; et d’Une chose dont on doute, mais qu’on ne veut pas se donner la peine de vérifier, d’examiner, J’aime mieux le croire, que d’y aller voir.
On dit populairement, par mépris, et pour rabaisser une chose qu’un autre voudroit faire valoir, Voilà un beau venez-y-voir.
On dit, Aller voir quelqu’un, pour, Aller chez lui pour lui rendre visite, pour lui rendre ses devoirs, pour l’entretenir, etc. Je l’ai été voir deux fois. Je l’irai voir le plutôt que je pourrai. Il ne m’est point venu voir. Et dans ce sens, un aveugle même dit : J’irai vous voir.
On dit, Il n’a point encore vu le Roi depuis son retour, pour, Il n’a point encore salué le Roi, il ne s’est point présenté devant le Roi depuis son retour. Et on dit, Il a vu le Roi dans son cabinet, pour dire, Il a eu une audience particulière du Roi.
On dit, Voir ses Juges, pour, Aller les solliciter chez eux.
On dit, qu’Un Médecin voit un malade, pour, qu’Il prend soin de lui pendant sa maladie. On dit la même chose d’Un Directeur ou d’un Confesseur qui a soin de la conscience de quelqu’un pendant sa maladie.
On dit figurément, Voir venir quelqu’un, pour, Démêler, découvrir, connoître par les démarches de quelqu’un, quel est son dessein. Il y a long-temps que je le vois venir. On dit aussi, Voir venir quelqu’un, pour, Attendre qu’il fasse les premières démarches, pour régler sur cela les siennes, et voir quel parti on doit prendre. Nous voilà bien postés, nous les verrons venir.
On dit, J’ai vu l’heure que, j’ai vu le moment que, pour, Peu s’en est fallu que, il ne s’en est rien fallu que. Et l’on dit, J’ai vu le temps que l’on faisoit… pour, J’ai été du temps qu’on faisoit…
On dit populairement, Il semble à voir, pour, On jugeroit. Il semble à voir qu’il soit le maître ici.
On dit familièrement comme par défi : Je voudrois bien voir cela. Faites cela, et vous verrez. Je voudrois bien voir qu’il osât l’entreprendre. Faites cela pour voir. Ces deux dernières phrases sont du style familier. Et on dit ironiquement, Il fait beau vous voir à l’âge que vous avez, vous amuser à ces bagatelles-là ; et de même, Il fait beau voir que… Il feroit beau voir que…
On dit poétiquement, Voir le jour, pour, Être né, vivre. Depuis que je vois le jour. Il n’avoit pas encore vu le jour.
On dit d’Un homme qui a fait une action infâme, qu’Il n’est pas digne de voir le jour, pour, qu’Il n’est pas digne de vivre.
On dit aussi, qu’Un livre, qu’un ouvrage n’a pas encore vu le jour, pour, qu’Il n’est pas encore imprimé, qu’il n’est pas encore publié.
On dit, Voir en songe, pour, Imaginer en dormant, croire voir en dormant.
■ Voir, signifie, Regarder, considérer avec attention. Voyez ce tableau, c’est une chose à voir. Il mérite d’être vu. Venez voir.
Il se dit aussi De l’application qu’on apporte à examiner quelque chose. Cette affaire a été vue par d’habiles gens, et de tous les côtés ; elle a été vue et revue. Le Rapporteur n’a pas encore vu mon procès. Il faudra voir ce qu’il y aura à faire là-dessus. Voyez si cela vous accommoderoit. Si cela arrive, nous verrons ce qu’il faudra faire. Voir une affaire à fond.
On dit, en parlant d’Une affaire sur laquelle on se réserve à prendre un parti, Je verrai, nous verrons, pour, J’examinerai, nous examinerons.
Il se dit encore Des observations et des remarques qu’on fait en lisant. J’ai vu dans Tite-Live, dans Corneille-Tacite. Où avez-vous vu cette particularité ? Dans quel livre avez-vous vu ce passage ?
■ Voir, se dit De la connoissance qu’on acquiert des choses du monde, dans les voyages, ou dans la fréquentation et le commerce des hommes. C’est un homme qui a beaucoup vu. Il a vu beaucoup de Pays. Il a vu les Pays étrangers. Il a vu toutes les Cours des Princes de l’Europe. C’est un jeune homme qui n’a pas encore vu le monde. Il est tout neuf, il n’a encore rien vu. Il veut voir l’Italie. Il faut voir le grand monde pour se façonner.
On dit proverbialement De quelqu’un qui n’a jamais fréquenté le monde, que C’est un homme qui n’a jamais rien vu que par le trou d’une bouteille. Il est familier.
On dit figurément et proverbialement, Faire voir du pays à quelqu’un, pour, Lui donner bien de l’exercice, bien de la peine, lui susciter beaucoup d’affaires.
On dit proverbialement et figurément, qu’Un homme a vu le loup, pour, qu’Il s’est trouvé en plusieurs occasions de Guerre, qu’il a fait des voyages périlleux, ou qu’il est fort rompu dans le commerce et dans les affaires du monde.
On dit proverbialement, Nous en avons bien vu d’autres, pour témoigner qu’On n’a point peur des menaces d’un homme, et qu’on ne le craint en rien. Il est familier.
■ Voir, signifie, Fréquenter. Qui voyez-vous à la Cour ? Qui voit-il dans son quartier ? En parlant d’Un homme ou d’une femme de mauvaise réputation, on dit, Ce n’est pas un homme à voir, ce n’est pas une femme à voir, pour, Il n’est pas convenable de les fréquenter.
On dit aussi, Voir bonne compagnie, voir mauvaise compagnie.
On dit d’Un homme qui vit dans la retraite, Il ne voit personne.
On dit aussi, qu’Un homme ne voit personne, Lorsqu’à sa porte on ne laisse point entrer ceux qui viennent pour le voir. Et on dit dans le même sens : J’ai été à sa porte aujourd’hui, mais on ne le voyoit point. Il ne verra cette semaine que ses plus intimes amis.
On dit, que Deux hommes ne se voient point, pour, qu’Ils sont mal ensemble, ou qu’ils ne veulent point avoir de commerce l’un avec l’autre. Il y a long-temps qu’ils ne se voient point. Je les ai réconciliés, et ils se sont toujours vus depuis.
On dit, Voir quelqu’un de travers, le voir de mauvais œil, pour, Le voir avec un sentiment de peine, avec déplaisance ; et dans le sens contraire, Le voir de bon œil. On vous voit de bon œil dans cette Ville. Il s’aperçut qu’on commençoit à le voir de travers, de mauvais œil.
On dit quelquefois, Voir une femme, pour dire, Coucher avec elle. Il y a long-temps que son mari ne la voit plus.
■ Voir, signifie figurément, S’apercevoir, connoître. Il y a long-temps que l’on voit qu’il se ruine. Je vis bien qu’il me manqueroit de parole. Ne voyez-vous pas qu’il vous trompe, qu’il se moque de vous ? Je vois son dessein, je le vois clairement. Vous voyez comme vous vous en êtes trouvé. Il faut être bien peu pénétrant pour ne pas voir quelle est son intention. Voir clair dans une affaire.
On dit, en termes de Pratique, Assigner pour voir dire et ordonner… c’est-à-dire, Pour être présent quand on dira, quand on ordonnera…
Il signifie généralement, Connoître par l’intelligence. Et dans ce sens on dit, que Dieu voit, que les Anges voient, pour, que Dieu connoît, que les Anges connoissent. Dieu voit le fond des cœurs, voit toutes choses. La béatitude consiste à voir Dieu. Les Bienheureux voient Dieu face à face, voient Dieu dans toute la majesté de sa gloire.
On dit proverbialement et par menace, Je lui ferai bien voir à qui il se joue, à qui il s’adresse, à qui il a affaire, pour, Je lui ferai bien connoître, je lui apprendrai bien....
On dit, C’est à vous à voir qu’il ne lui manque rien, pour, Faites en sorte qu’il ne lui manque rien ; et Voyez à nous faire souper, pour, Ayez soin de nous faire souper au plus vite. Ce dernier est de la conversation.
■ Voir, signifie aussi, Connoître par le sens du goût, de l’odorat, du toucher, de l’ouïe. Voyez si le vin est bon. Voyez un peu si cela est chaud. Voyez si cet instrument est d’accord. Voyez si c’est la même odeur.
■ Voir, signifie encore, Juger. Je vois cela différemment de vous. Chacun a sa manière de voir. C’est ainsi que je vois. On voit souvent ce qu’on imagine et qu’on désire, au lieu de ce qui est.
■ Voir, signifie aussi, S’informer. Voyez s’il est chez lui. Voyez s’il est venu.
p. 753On dit, par forme De défi, Voyons s’il osera ; et dans le sens d’Éprouver, Voyons si cela réussira.
On dit aussi dans un sens admiratif : Voyez quelle constance il montre ? Voyez l’impudence de cet homme-là !
On dit populairement, C’est un beau venez-y-voir, pour dire, par ironie, Voilà un objet bien digne de curiosité.
■ Vu, ue. participe.
On dit, en termes de Banque, Une Lettre de change est payable à lettre vue, pour, Le Banquier est obligé de la payer dès qu’il l’aura vue. On dit plus ordinairement, Payable à vue. Voyez Vue.
On écrit au bas d’une pièce d’écriture, ou d’un compte qu’on approuve, Vu bon. On fait quelquefois de ce mot un substantif. Il faudra le vu bon de M. un tel. Le vu bon manque à cette pièce.
On dit proverbialement, Juger, faire quelque chose à la boule vue, à boule vue, pour, Inconsidérément, sans trop examiner, sans prendre garde à ce que l’on fait.
■ Vu, se dit d’une manière absolue et indéclinable, en certaines formules de Palais, et en style de Chancellerie. Ainsi on dit : Vu par la Cour les Pièces mentionnées. Vu les Arrêts énoncés. Vu les raisons et allégations de part et d’autre, pour dire, Les Pièces mentionnées, etc. ayant été vues, etc.
Il s’emploie encore de la même sorte dans le langage ordinaire, pour signifier, Attendu, eu égard. La récompense est petite, vu ses grands services, vu son mérite.
On dit aussi, Vu que, pour dire, Attendu que, puisque. Je m’étonne qu’il ait entrepris cela, vu qu’il n’est pas trop hardi. Comment avez-vous entrepris cette affaire, vu que vous savez bien…
■ Vu, est aussi quelquefois substantif. Ainsi on dit, en style de Pratique, Le vu d’un Arrêt, le vu d’une Sentence, pour, Ce qui est exposé dans un Arrêt, dans une Sentence rendue sur les productions respectives, les pièces, les raisons qui y sont énoncées avant le dispositif.
Il s’emploie aussi substantivement en quelques phrases du langage ordinaire. Ainsi on dit, qu’Une chose s’est faite au vu de tout le monde, et plus ordinairement, au vu et au su de tout le monde, pour, que Tout le monde l’a vue, l’a sue, que tout le monde en a été témoin, en a été instruit.
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