laisser

LAISSER

conjugaison verbe transitif
Étymologie : ixe siècle, laissier. Issu du latin laxare, « détendre, relâcher ».

I.

I. Se séparer d’une personne ou d’une chose, volontairement ou non.
1.  En ne l’emmenant pas, en ne la prenant pas avec soi lorsqu’on quitte un lieu. Il a laissé son fils à Paris, à la maison. Je l’ai laissé seul chez lui. J’ai laissé ma voiture au garage. Se dit notamment d’objets qu’on oublie de prendre, d’emporter avec soi. J’ai laissé ces papiers sur mon bureau. Où ai-je laissé mes lunettes ? Il a laissé sa valise dans le train.
▪ Expr. Laisser quelqu’un pour mort, s’éloigner de lui avec la conviction qu’il est mort. Il avait été laissé pour mort sur le champ de bataille. Laisser quelqu’un loin derrière soi, le devancer de beaucoup et, fig., le dépasser en valeur, en mérite. Laisser un concurrent sur place, dans une course, prendre une grande avance sur lui en accélérant brusquement et, fig., le surpasser de beaucoup. Par exagération. Ne laisser que les quatre murs d’une maison, emporter ou détruire tout ce qui s’y trouvait.
2.  En la déposant en un lieu, chez quelqu’un, en la remettant, en la confiant à quelqu’un. Laissez-nous vos enfants jusqu’à ce soir. Nous l’avons laissée à la gare. Laissez ici ce paquet. Laisser son manteau au vestiaire. Laisser des bagages à la consigne, des bijoux au coffre. J’ai préféré laisser cet objet en lieu sûr.
▪  Je laisse cet animal à votre garde. Il laisse la gestion de ses biens à son homme de confiance.
▪  Laisser signifie simplement parfois Déposer une chose entre les mains de quelqu’un pour qu’il la transmette à un tiers. J’ai laissé les clés au gardien. Je vous laisse un message pour votre père. Laisser des consignes, des instructions.
3.  Avec l’intention de l’abandonner, de la quitter. Laisser son pays, ses amis, sa famille. Il a tout laissé pour courir le monde. Ils ont dû laisser leurs maisons, leurs biens. Fig. Un enfant laissé à lui-même, sur qui personne ne veille. Laissez-le à son ignorance, à ses remords.
▪ Se dit parfois de choses. La rivière a laissé son ancien lit. Mes forces me laissent (vieilli).
▪ Expr. Je vous laisse, je dois vous laisser, ou Laissez-nous, vous pouvez nous laisser, se dit pour prendre ou pour donner congé.
▪ Loc. Laisser là quelqu’un, quelque chose, rompre avec quelqu’un, interrompre quelque chose, cesser de s’en occuper. Laissez là tous ces gens qui ne cherchent qu’à vous nuire. Laissez là votre travail, vous le reprendrez plus tard. Laissons cela ! évitons, cessons d’en parler. S’emploie parfois par délicatesse ou pour marquer l’impatience. « Combien vous dois-je ? – Laissons cela. » On dit de même Laissez donc ou, simplement, Laissez.
▪ Spécialement. Laisser un chemin, une maison à droite, sur la droite, sur sa droite, les dépasser en s’orientant de façon que le chemin, la maison soit à sa droite. Laissez la forêt derrière vous et continuez tout droit.
4.  Dans certaines expressions, Laisser signifie Perdre, être privé de. Il y a laissé la vie ou, pop., sa peau, il en est mort. Il a laissé un bras à la guerre. L’ennemi a laissé beaucoup d’hommes dans ce combat. Ce travail l’a épuisé, il y a laissé sa jeunesse, sa santé. Y laisser jusqu’à sa dernière chemise (fam.), voir Chemise. Laisser des poils, des plumes en quelque endroit, se dit d’un animal qui a perdu des poils, des plumes en échappant à quelque danger. Fig. et fam. Laisser des plumes, ne pouvoir sortir d’une affaire sans quelque perte, particulièrement une perte d’argent. Il a laissé des plumes au jeu.
5.  Spécialement. En parlant des êtres dont on est séparé par la mort, des biens qu’on lègue, qu’on transmet. Il laisse une femme et trois enfants. Il a laissé par testament des sommes considérables à diverses œuvres de charité. Il laisse une belle fortune à ses héritiers. Il ne laisse que des dettes.
▪ Fig. Pour parler de ce qui subsiste d’un être après qu’il est mort, parti, etc., notamment des œuvres de l’esprit, ou simplement du souvenir, de l’opinion qui reste de lui. Il a laissé une œuvre admirable. Elle nous a laissé de grands livres, de belles pages. Il a laissé une grande réputation de probité, un nom honoré. Il laissera partout de grands regrets, des regrets unanimes.
6.  Par extension. En parlant de ce qui demeure après le passage de quelqu’un, de ce qui reste d’une chose, ou des effets, des suites qu’un fait ou un évènement peuvent avoir, des impressions, des sensations plus ou moins durables qu’ils font naître. Cet animal a laissé la trace de ses sabots. Laisser des empreintes. Laisser un grand désordre derrière soi, laisser les affaires du pays dans un état déplorable. Ce vin, cette liqueur laisse un goût délectable, laisse un arrière-goût. Mon voyage m’a laissé des souvenirs agréables. Sa maladie l’a laissé infirme. Cette nouvelle me laisse interdit, indifférent. Cette civilisation a laissé de nombreux vestiges.

II.

II. Renoncer à.
1.  Ne pas prendre, ne pas utiliser ce qui est à sa disposition. Laisser de la nourriture dans son assiette. Laisser de la place pour permettre le passage.
▪ Marque de domaine : Commerce. Laisser de la marchandise pour compte, voir Compte. Cette marchandise est à prendre ou à laisser, il faut en donner le prix demandé ou renoncer à l’avoir et, fig., C’est à prendre ou à laisser, il n’y a pas de moyen terme. Il y a à prendre et à laisser dans ces marchandises et, fig., dans cette affaire, dans cette proposition, dans cet ouvrage, il s’y trouve du bon et du mauvais.
2.  Ne pas enlever, ne pas retirer à quelqu’un ce qu’on pourrait lui ôter. Les voleurs lui ont laissé la vie. Ils ne m’ont rien laissé de ce que j’avais. Laissez-lui ce plaisir. Laissez-moi encore un moment de réflexion. Par exagération. Ses occupations ne lui laissent pas un moment de repos.
▪ Expr. fig. Laisser de la marge à quelqu’un, voir Marge. Ne laisser à quelqu’un que ses yeux pour pleurer, le dépouiller de tous ses biens.
3.  Abandonner à l’intention de quelqu’un ; céder, concéder à. Laisser un pourboire au garçon. Laissez-nous de l’argent, des vivres. Laisser une marchandise à un certain prix, à bon compte, consentir à la vendre à un certain prix, à un prix inférieur à celui du marché. Il m’a laissé le mètre de tissu à trente francs. Je vous laisse ce meuble à moitié prix. Laisser sa place, son tour à quelqu’un. Les ennemis furent contraints de nous laisser le terrain.
▪ Fig. Je lui laisse l’honneur, le profit de cette entreprise. Je vous laisse le choix des moyens. Laisser la préséance à quelqu’un. Je laisse ce travail à plus savant que moi. Laissons aux générations futures le soin de juger. Expr. Laisser une affaire au soin, à la discrétion, à l’appréciation de quelqu’un. Je vous en laisse le soin, la responsabilité. Ne rien laisser au hasard.
▪ Se dit dans un sens analogue, avec une nuance de dédain, en parlant de ce qu’on juge indigne de soi. Laissez ces intrigues aux âmes basses. Laissez ces plaisirs aux esprits frivoles. Vous devriez laisser ces jeux aux enfants.

III.

III. Faire qu’une personne, une chose reste dans le même endroit, la même position, la même situation, le même état qu’auparavant.
1.  En ne l’ôtant pas, ne la retirant pas de quelque endroit où elle se trouve déjà. Laisser quelqu’un dehors, dans la salle d’attente. Nous laisserons cette sentinelle à tel endroit, cet employé à tel poste. Laissez ces livres sur mon bureau, là où je les ai mis. Laissez tout en place avant l’arrivée de la police. Laisser un plat dans le four, au chaud. Laisser sur une page une marge, un espace, un intervalle, les ménager. Laissons ce sujet de côté pour le moment.
▪ Expr. fam. Laisser quelqu’un dans la nasse (vieilli), l’abandonner dans une méchante affaire où on l’a engagé et dont on se tire soi-même. Laisser en plan une personne ou une chose, quitter brusquement une personne, interrompre ce qu’on avait entrepris avec elle, ou abandonner un ouvrage avant son achèvement. Spécialement. Ne pas ôter, ne pas supprimer ce qui devrait l’être. Laisser dans un texte des fautes, des erreurs.
2.  En ne changeant pas son état, sa situation. Laisser quelqu’un dans le chagrin, dans l’incertitude. Laisser un prévenu en liberté. Laisser quelqu’un dans l’embarras, dans la misère. Laissez-moi en paix, en repos, laissez-moi tranquille ou, elliptiquement, Laissez-moi ! Ils n’ont laissé debout que l’église. Laisser une porte ouverte. Laisser un ouvrage inachevé, imparfait. Laisser un crime impuni. Laisser une question sans réponse.
▪ Loc. et expr. Laisser quelqu’un maître d’une chose, lui en abandonner la libre disposition. Laisser à l’abandon, ne prendre aucun soin de. Vous laissez ce jardin à l’abandon. C’est un homme qui laisse tout à l’abandon. Laisser en blanc, dans un écrit, réserver un espace qu’on remplira plus tard. Laissez, dans le projet d’acte, deux lignes en blanc et, par métonymie, Laissez le nom du bénéficiaire en blanc. Laisser les choses en l’état, renoncer à les modifier.

IV.

IV. Constructions particulières.
1.  Laisser à (suivi de l’infinitif), donner toute latitude pour ; donner matière à, carrière à. Je vous laisse à penser ce qu’il en arrivera, c’est à vous qu’il revient de penser aux conséquences de cela. Je vous laisse à juger s’il profita de l’occasion. Cela laisse à penser, cela donne matière à bien des réflexions. Laisser à faire, laisser à dire à quelqu’un, ne pas épuiser la matière. Il ne laisse jamais rien à faire après lui. Laisser à désirer, n’être pas entièrement satisfaisant (on dit dans le même sens laisser à dire). Cet ouvrage a du mérite, mais laisse encore à désirer, à dire.
2.  Ne pas laisser de ou, vieilli, ne pas laisser que de, ne pas manquer de ; ne pas cesser, ne pas discontinuer de ; faire une chose malgré ce qui s’y oppose. Quoi que vous en disiez, cela ne laisse pas de m’inquiéter. Malgré leur brouillerie, il n’a pas laissé que de lui écrire. On ne laisse pas de s’interroger sur les motifs de sa décision. Cela ne laisse pas d’être embarrassant. Cette proposition ne laisse pas d’être vraie, ce qu’on objecte contre elle n’empêche pas qu’elle soit vraie.
3.  Par courtoisie. Laissez ou Laissez que, permettez, souffrez que. Laissez que je vous réponde, que je vous assure de ma considération.

V.

V. Employé comme semi-auxiliaire devant un infinitif ou une proposition infinitive.
Ne pas empêcher de ; tolérer, permettre. Laisser passer quelqu’un, laisser quelqu’un passer. Laissez-le ou laissez-lui écrire quelques lettres. Un prisonnier qu’on a laissé échapper ou s’échapper. Laissez-moi vous aider. Des innocents qu’on a laissé condamner. On les a laissés  mourir. Par courtoisie. Laissez-moi me dire votre obligé. Laissez-moi vous signaler votre erreur.
▪ Pron. réfléchi. Ils se sont laissés  mourir de faim, de soif. Dans une construction réfléchie indirecte. Il se laisse pousser la barbe. Il ne s’en laisse pas conter, accroire. Pron. passif. Se laisser surprendre. Ils se sont laissé tuer. Cela ne se laisse pas décrire, est indescriptible. Se laisser tenter, accepter quelque chose d’agréable. Fam. Ce livre se laisse lire, on le lit sans fatigue, sans ennui. Cela se laisse boire, se laisse manger, on le boit, on le mange avec un certain plaisir.
▪ Loc. et expr. Laisser croire, laisser entendre une chose, l’insinuer, la faire comprendre sans la dire nettement. Laisser voir, laisser paraître, montrer, découvrir. Cette percée laisse voir une vaste plaine. Le brouillard qui se dissipe laisse paraître la campagne. Fig. Laisser voir sa pensée, laisser paraître son trouble, n’en rien laisser paraître.
▪  Laisser tomber, lâcher, ne pas empêcher de tomber. Laisser tomber ce qu’on a dans les mains. Pron. Se laisser tomber dans l’herbe. Fig. et fam. Laisser tomber une affaire, y renoncer. Laisser tomber une personne, l’abandonner, particulièrement quand elle est en difficulté. Pop. Laisse tomber, n’insiste pas.
▪  Laisser aller, ne pas retenir. Je les ai laissés  aller. Fig. Laisser aller les choses. Laisser tout aller (fam.), négliger entièrement ses affaires. Pron. Se laisser aller à la douleur, s’y abandonner. Se laisser aller à mentir. Absolument. Se laisser aller, se relâcher, s’abandonner à ses penchants, à la paresse, à la mollesse, etc. Subst. Laisser-aller, voir ce mot.
▪  Laisser faire quelqu’un ou, vieilli, laisser faire à quelqu’un, lui permettre d’agir à sa guise ou s’en remettre à lui. Je ne les ai pas laissés  faire. Laisser le temps faire son œuvre, ou laisser faire le temps. Pron. Se laisser faire du tort, souffrir qu’on vous en fasse. Fam. Se laisser faire, ne pas opposer de résistance, ne pas se défendre ; céder à des offres, à des avances. Elle ne s’est pas laissé faire.
▪ Marque de domaine : histoire. Laissez faire, laissez passer, expression née au xviiie siècle et recommandant la liberté du commerce, souvent reprise pour résumer les premières théories du libéralisme économique. Laisser dire, souffrir qu’on dise, ne pas se soucier de ce qui se dit. Laisser dire les mauvaises langues. Laisser dire, laisser faire, ne pas s’opposer à ce que dit ou fait autrui ; ne pas s’en mettre en peine. Expr. proverbiale. Bien faire et laisser dire. Loc. fam. Je me suis laissé dire que…, pour indiquer qu’on a entendu parler de quelque chose sans vraiment y croire, ou bien pour lancer une rumeur sans en prendre la responsabilité.
▪ Pron. passif. Se laisser mener, gouverner, permettre à d’autres de diriger votre existence, votre conduite. Fig. Se laisser mener par ses passions, par l’intérêt. Fam. Se laisser mener par le bout du nez. Dans une construction réfléchie indirecte. Se laisser tondre, manger la laine sur le dos (fig. et fam.), voir Dos.
▪ Spécialement. Marque de domaine : vènerie. Laisser courre les chiens ou, simplement, laisser courre, les découpler afin qu’ils courent après l’animal de chasse. Laisser-courre, voir ce mot. – Marque de domaine : Marine. Laisser tomber l’ancre ou, simplement, laisser tomber, mouiller. Laisser le navire courir sur son erre, laisser courir, voir Courir. Laisser porter, laisser arriver, manœuvrer pour se laisser dériver par rapport au lit du vent.
Remarque
Les exemples ci-dessus respectent la règle habituelle d’accord du participe passé suivi d’un infinitif. Cependant, l’application de cette règle étant parfois malaisée, particulièrement dans les formes pronominales, et l’accord restant incertain dans l’usage, on pourra, comme pour le verbe faire, généraliser l’invariabilité du participe passé de laisser dans le cas où il est suivi d’un infinitif. Il est donc possible d’écrire : Elle s’est laissé mourir comme Elle s’est fait maigrir ; Je les ai laissé partir comme Je les ai fait partir.
Orthographe
◇ Peut s'écrire on les a laissé mourir ; ils se sont laissé mourir de faim, de soif ; je les ai laissé aller ; je ne les ai pas laissé faire, selon les rectifications orthographiques de 1990.
[règle §5] Participe passé de laisser suivi d’un infinitif.
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